La spiritualité, une quête individuelle
Le héros de La vallée des masques parle de méditation, d’éveil, de sixième sens, de connexion à la nature. Pourtant, le nouveau roman de Tarun Tejpal n’a rien d’une quête mystique et initiatique. « Ce livre explore plutôt les dangers du dogmatisme, commente son auteur. Dans toute l’histoire de l’humanité, même les plus belles idées, parées des meilleures intentions, finissent par engendrer des systèmes où règne la domination. »
Tarun Tejpal sait de quoi il parle : son expérience de journaliste nourrit depuis plus de vingt ans sa compréhension des organisations humaines, qu’elles soient sociales, politiques ou spirituelles. « Grandes ou petites, le schéma est toujours le même. Au départ, le discours semble plausible, les idées attractives. Et puis, petit à petit, tu ressens un malaise. » Soit parce que le leader « instrumentalise le mythe pour lui faire dire ce qui l’arrange », acquérir un pouvoir et maintenir une emprise. Soit parce que certains fidèles, par besoin de trouver un cadre et de s’en remettre à quelqu’un, tombent dans la soumission et la superstition.
« Le doute toujours alterne avec la foi, commente Tarun Tejpal. Pour aller de l’avant, on a besoin de croire en quelque chose. Mais sans vigilance, la foi est la porte ouverte à toutes les chimères, toutes les manipulations. La spiritualité doit être une quête individuelle. Personne ne peut prétendre détenir la vérité et te dire quoi faire. »
Clés pour avancer : curiosité, libre-arbitre, mais aussi empathie et capacité à embrasser le monde dans sa diversité. « La perfection n’existe pas ! L’homme est complexe, le monde aussi. Je suis terrifié par les gens qui disent savoir ce qui est bon, non seulement pour eux, mais pour les autres. D’où vient ce besoin de contrôler ? » Et cette capacité à se conformer, s’enfermer dans des postures… « Il n’y a pas un seul chemin. A chacun de faire sa propre expérience et d’inventer ses propres règles. »
Comme lui le fait : « Je suis un mélange de civilisations, et ce mélange me rend heureux. Dans ma tête, je me sens très occidental. Je suis agnostique, je crois à la logique, à la raison, j’écoute Mozart et Beethoven, mais dans mon cœur, je suis complètement oriental. Mes impulsions sont très indiennes. J’adopte la philosophie hindoue parce qu’elle célèbre la vie, ne la dénigre pas. Des chapitres entiers parlent de sexe et célèbrent l’amour ! »
L’amour… « Dans un monde en peine, dont on a du mal à comprendre le sens, c’est la seule chose qui peut nous sauver ! » Peu importe de quoi, « c’est une attitude ». S’ouvrir, accueillir, comprendre, accepter, être là, s’engager…
Une manière d’être que Tarun Tejpal cultive au quotidien. Dans sa maison secondaire de l’Himalaya, « où règne indubitablement un haut niveau de spiritualité ». Dans son amour de la musique qui, par sa capacité à « nous ébranler, nous habiter, nous libérer », est selon lui « ce nous rapproche le plus du divin. » Dans l’écriture, enfin. « Quand je commence un livre, j’ai une idée du sujet, des situations, des personnages, mais je ne sais jamais comment ils vont évoluer. C’est un processus organique, une exploration intérieure. » Une « conscience en expansion » qui le guide dans tout ce qu’il entreprend. Notamment en tant que fondateur et rédacteur en chef de Tehelka, un magazine d’investigation réputé. « Les journalistes doivent être des guerriers, s’engager dans les batailles de la société ». En restant fidèles à ce qu’ils souhaitent raconter, « car toute histoire, au final, est un médicament dans la grande pharmacopée des histoires du monde : peu importe ce qui te pousse à l’écrire, elle finira par trouver écho chez quelqu’un, le soulager face à ses propres difficultés. »
Albin Michel (Août 2012 ; 464 pages)