Ça marche comment, la télépathie ? Et la clairvoyance ?
Reportage | Les scientifiques de l'Institut métapsychique international, à Paris, étudient la clairvoyance, la télépathie, la précognition ou encore la télékinésie. Bref, tous ces intrigants phénomènes paranormaux. Des chercheurs qui ne trouvent pas normal qu'on les prenne pour des clowns...
Le paranormal se carapate en dehors des clous de l'expérience, des lois de la physique et du bon sens. Chez certains sujets, il provoque une pétoche mâtinée de fantômes, d'esprits vengeurs et de guéridons qui tournent tout seuls. Chez d'autres, c'est la défiance. Comment croire à ces horoscopes débiles, à ces médiums errant aux sorties de métro et qui n'ont pas su prévoir que la vie de médium n'était pas une sinécure ? Comment se fier aux dons extralucides d'un Paco Rabanne, qui hurla au loup en 1999, annonçant la chute de la station spatiale Mir sur Paris le 11 août, jour de l'éclipse totale du soleil ? Comment prendre au sérieux tous ces truqueurs roués qui, depuis que l'homme a appris que son voisin peut se montrer un peu truffe, vampirisent crédulité ou mal-être, et nous font croire que si Mars est en cancer, alors, oui, sans aucun doute, nous aurons des problèmes de cœur en août.
Avant de visiter l 'IMI, on a pris soin de lire les travaux d'Henri Broch, physicien de combat, professeur à l'université de Nice Sophia Antipolis, fondateur du Cercle zététique (2), qui pratique « l'art du doute » et surtout celui du coup de boule symbolique dans le nez du sourcier-sorcier. « Le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance », serine-t-il. Depuis presque trente ans, Henri Broch dégomme les expériences pseudo-paranormales. Il décrypte, démine, critique, tourne en dérision, s'inquiète de l'obscurantisme galopant. Broch représente fidèlement la position de la « vraie » science face au paranormal : contre, tout à fait contre.
à la guérison par les magnétiseurs ;
40 % à la transmission de pensée.
Voilà le perron de l' IMI. On s'attend à rencontrer ici des druides aux yeux cernés qui marchent sur leurs cheveux, ou bien des types en cape noire, aux yeux globuleux et aux sourcils circonflexes. Concentré, on essaie en vain de deviner le code de la porte d'entrée. Mais voilà Mario Varvoglis, directeur de l' IMI. Surprise, son allure n'est absolument pas paranormale. Pas très grand, cheveux courts, yeux noisette, sourcils un peu broussailleux, accent grec. Il salue, avenant, sans volonté apparente de prendre le contrôle de notre cerveau. Et tape le code d'entrée. L 'Institut occupe un loft clair zébré de bibliothèques. Décoration sobre. Pas de tête de mort ou d'enfant sacrifié dans les parages. L'espace est consacré aux conférences. Le sous-sol accueille les expériences.
Au mur, des fantômes barbus font la gueule, comme c'était la mode aux premiers temps de la photo : « Ici, c'est Henri Bergson, commente Mario Varvoglis ; il était très actif à la Society for psychical research. » A côté, boudent le philosophe Gabriel Marcel, le médecin Eugène Osty et René Warcollier, qui participa au projet « Stargate », mis en place aux Etats-Unis dans les années 70 pour enquêter sur le potentiel d'applications militaires des phénomènes psychiques ; plus loin, Camille Flammarion, l'éthologue Rémy Chauvin, le Nobel de médecine Charles Richet, tous pionniers dans cette étrange activité.
si le cerveau humain est oui ou non capable
d'agir sur la matière.
Descente au sous-sol vers les salles d'expérimentation. Dans l'obscurité de la première pièce sommeille une drôle d'antenne à quatre branches qui tourne comme une girouette. L'appareillage sert à faire des expériences en biopsychokinèse. L'esprit peut-il influencer la matière organique ? Par exemple ralentir ou accélérer le pourrissement d'un fruit ? Mario tente de le prouver. Au bout de chaque barre métallique, il loge des tomates, de simples tomates, de celles qui finissent leur carrière avec un peu de mozzarella et d'huile d'olive. Au premier étage de l' IMI, quelqu'un se concentre et vise mentalement la « tomate cible ». D'après le directeur de l' IMI, les résultats de ce type d'étude sont significatifs. « On essaie d'affiner notre protocole. On va travailler avec des yaourts, plus homogènes que les tomates. » Des yaourts plus homogènes que des tomates qui pourrissent quand on pense à elles : le paranormal commence à devenir intéressant.
Les sciences psychiques, ancêtres de la parapsychologie, plantent leur morsure au début du XIXe siècle, quand les plus grands noms de la science britannique s'entichent de spiritisme, notamment Faraday ou Crookes, dans le sillage d'Allan Kardec, enterré au Père-Lachaise et dont la tombe est plus fleurie que celle de Jim Morrison. Plus tard, l'Américain Joseph Banks Rhine a tenté pendant quarante ans de fonder une parapsychologie scientifique en utilisant des cartes symboliques que devaient deviner des sujets. A Edimbourg, à la demande de l'écrivain Arthur Koestler, une chaire de parapsychologie a même été créée.
Nous ne sommes pas que des cartes de crédit
et des numéros de Sécurité sociale.”
Dans une autre pièce bourdonne un ordinateur équipé d'un logiciel de portraits-robots qui compose de façon aléatoire un visage, en utilisant quatre variables : cheveux, yeux, nez, bouche. Le sujet testé doit deviner quel visage a choisi l'ordinateur en jouant sur les mêmes variables. Au moins s'en approcher. L'idée n'est pas de tester des voyants professionnels mais beaucoup de quidams, afin d'établir une statistique. Et, curieusement, selon l' IMI, le pékin de base ferait mieux que le hasard. Nous aurions tous un micro-don, des antennes sur le front. En un mot : du pif. « L'éducation, la culture, rien n'encourage le développement de ce don qui reste atrophié chez la plupart d'entre nous », soupire Mario.
Troisième expérience. Nous voilà en plein champ de Ganzfeld (champ sensoriel uniforme). Allongé dans un fauteuil paranormalement moelleux. Au-dessus de nous, une lampe diffuse une lumière rouge. Sur chacun de nos yeux, une demi-balle de ping-pong. On a sans doute l'air d'une buse. Sous les demi-balles, on n'y voit que du rouge, mais un beau rouge homogène de veilleuse de cimetière. On s'en tiendra là, mais en cas d'expérience, le cobaye enfile un casque et écoute un bruit blanc, un bruit d'océan. Ensuite il parle automatiquement, « pour faire émerger une partie de nous plus proche des rêves que du conscient ». Pendant ce temps, à distance, un autre sujet, appelé « émetteur », regarde un extrait de film choisi au hasard parmi cent autres. Il le regarde en boucle, longtemps, parfois toute une nuit. Le métier d'émetteur peut se montrer emmerdant. Mais, à l'étage du dessous, le « récepteur » va peut-être « sentir » de quel film il s'agit. Même si c'est un mauvais film. Au matin, on demande au « récepteur » de choisir parmi quatre films. Au hasard, il a 25 % de chances de trouver. « On atteint 32 ou 33 % de taux de réussite, s'enthousiasme le directeur de l'IMI. Ceux qui sont encore sceptiques sont fâchés avec les données. Tout le protocole est contrôlé informatiquement en double ou triple aveugle. »
Oui, il y a eu des tricheurs, mais
nous ne sommes pas des clowns.”
Pas la peine d'être extralucide pour renifler l'agacement du patron de l' IMI, sans doute fatigué de passer pour un agité du bocal : « Nous sommes sur une ligne de crête, coincés entre les extrémistes et leur boule de cristal, et les scientistes : tout le monde nous tire dessus. Oui, il y a eu des tricheurs, comme dans l'histoire de toutes les sciences, mais ce n'est pas pour ça qu'il n'y a rien. C'est un vrai puzzle scientifique. Nous ne sommes pas des clowns. »
serait reconnue. Le problème, c'est que ces
phénomènes sont très capricieux.”
Capricieux, élusifs et surtout ténus. Les chercheurs de l' IMI appuient leur théorie sur des écarts statistiques anormaux. Les sujets étudiés ne font pas de miracle. Ils font simplement mieux que le hasard. Et là où le chercheur de l'IMI détecte un signal, une forme précise dans les nuages, le sceptique ne voit qu'un bruit de fond, une masse informe.
Pour se défendre des attaques des sciences dures, les para-psychologues rappellent souvent l'histoire de Galilée, traîné devant un tribunal de l'Inquisition pour hérésie parce qu'il défendait le système copernicien. Mario Varvoglis, lui, évoque les époux Curie, qui étudiaient la radioactivité, un phénomène ténu, subtil, dont personne n'aurait pu imaginer qu'il permettrait un jour de construire une bombe atomique. Sur sa ligne de crête, sous les huées des sciences dures ou des fêlés des fantômes, l' IMI cherche encore la preuve irréfutable, sa bombe paranormale.
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