Corps-Esprit : Notre potentiel
© Caitlin Worthington
Toutes ces questions m’agitaient depuis déjà un moment quand les « vacances » arrivèrent. Enfants, amis et parents réunis, un moment attendu chaque année. Me voilà, au milieu des conversations, des sollicitations et tâches diverses, à essayer de trouver le calme et le silence pour travailler… Cela crée une pression chaque jour un peu plus considérable. Je dors moins bien, me réveille tôt, sens des tensions grandir dans le haut du dos et la région du plexus solaire. Au bout d’une dizaine de jours, je passe une nuit avec des maux de ventre, le coeur qui bat dans la poitrine, une légère fièvre, des nausées. Un malaise suffisamment fort pour que le spectre de la bactérie e-coli, matraquage médiatique oblige, me traverse fugitivement l’esprit. Je respire. Petit « insight » en forme de clin d’oeil : je suis en train de vivre mon sujet !
A partir de ce moment, le malaise disparaît, mais pas le stress. Une observation plus attentive m’apporte une information supplémentaire : quelles que soient les circonstances, le stress est lié pour moi à la performance. Sans stress maximal, comment écrire de bons articles ? Voilà ma croyance.
Ce qui est en jeu dans la relation corps-esprit, ce n’est pas de faire un joli pied de nez rhétorique à Descartes, en se fondant sur les recherches des vingt dernières années et les approches thérapeutiques qui ont fleuri. Ce qui est en jeu, c’est de changer d’abord de regard sur l’expérience de chaque jour, chaque heure, chaque minute. Puis de changer l’expérience elle-même. Et ultimement de changer. D’aller vers un comportement qui apporte plus de satisfaction, qui soit plus en accord avec l’idée qu’on se fait du bonheur, des relations aux autres. Ce qui est en jeu, dans la relation corps-esprit, c’est l’être humain qu’on devient.
C’est précisément le chemin qu’empruntent des médecins comme Thierry Janssen, des chercheurs comme Richard Davidson, des thérapeutes comme Michel Odoul : le corps n’est plus une donnée de base dont nous sommes le jouet victimaire. La physiologie est non seulement sensible à l’esprit, mais elle le reflète, le symbolise, l’exprime, en quatre mots : le corps est l’esprit. La physiologie est l’esprit. L’esprit est la physiologie. Ceci depuis les pensées en apparence les plus simples jusqu’au point élevé de « l’âme » ou des plus hautes valeurs humaines, selon la terminologie employée.
Quand je pense, des pieds à la tête, ma matière danse.
Il ne s’agit pas ici de nier les facteurs biologiques, le bien-fondé de la médecine moderne et ses succès. En pleine épidémie de choléra en Afrique, quelles que soient les prières des fidèles à l’église ou à la mosquée du coin et le niveau d’optimisme général de la population, rien n’est plus rassurant que de voir se déployer les tentes des humanitaires et des soignants, les blouses blanches et les antiseptiques. Mais évoluer, élargir le champ, ne signifie pas exclure. On peut s’ouvrir aux expériences, les intégrer sans renier ce qui est déjà établi. Encore faut-il accepter que ces expériences soient possibles et utiles. Or, le corps-esprit a un tel potentiel comparé à l’utilisation pauvre, pour ne pas dire indigente, qui en est souvent faite, qu’on a du mal à imaginer quelle distance nous sépare… de nous-mêmes.
Le divorce consommé
La question des rapports entre corps et esprit occupe les philosophes depuis l’Antiquité. Avec Descartes, qui les opposa en termes de substance, l’idée de la séparation prévalut. C’est à la matière que devait désormais s’intéresser la science, laissant l’âme – les émotions – au domaine des religions. Âme, esprit, autant d’invisibles qui allaient peser de moins en moins lourds dans les approches scientifiques et médicales ! « Au XIXe puis au XXe siècle, nous avons fait preuve d’une volonté de plus en plus matérialiste de comprendre le monde matériel pour le contrôler, le dominer ; ce sont les débuts de l’industrialisation et de la recherche scientifique qui cherche à analyser le vivant en le décortiquant, en séparant tout », explique le médecin Thierry Janssen (voir l’interview page 52) qui souligne « la vision à l’époque très dualiste de la réalité ». Si le dualisme entre corps et esprit reste un sujet de débats théoriques, dans les représentations et en science, le corps-objet prévaut. En témoigne cet exemple d’un de mes proches, malade du foie dont les bilans présentent des déséquilibres importants et à ce jour inexpliqués, souffrant d’une anxiété extrême en toute circonstance, d’allergie et d’asthme. De longs mois ont passé, à faire des examens, des analyses sanguines poussées jusqu’à l’IRM, sans qu’aucun spécialiste pose une seule question ayant trait à un facteur psychosomatique.
Hors du domaine médical, ces représentations du corps-objet sont également prégnantes. On cherche par toutes sortes de techniques à modifier l’apparence du corps : chirurgie esthétique, régimes, musculation… Un grand nombre de ces usages visent à obtenir, indirectement, un mieux-être spirituel, plus d’amour, de considération, d’aisance en société, en un mot : de bonheur.
Or, si le fait de s’apprécier physiquement contribue effectivement au bonheur, il a été prouvé qu’en fait notre apparence physique conditionne très peu notre degré de contentement. La causalité marche en sens inverse : Plus nous sommes enthousiastes, positifs et optimistes, et plus nous nous trouvons beau ! Dans cet équilibre entre les différents facteurs, la génétique entre en ligne de compte pour 50%, le physique pour 10% ; 40% nous appartiennent et nous pouvons les utiliser pour orienter notre vie.
source INREEES