Les inconnues de la guérison
Il y a d’autres déterminants : l’acuponcture et l’homéopathie reposent sur des corpus de connaissances complets et construits. Dans l’acuponcture, une très bonne formation de l’acuponcteur, le fait qu’il ait une longue expérience professionnelle, seront autant de vecteurs de sa crédibilité. Au niveau des guérisseurs, on est dans l’empirisme total; historiquement, ces gens ont eu le pouvoir de soigner à l’écart d’une connaissance au sens intellectuel du terme. L’anthropologue Bertrand Hell montre que dans ce registre, plus le praticien est éloigné de ce qui correspond à la notabilité en terme sociologique, plus on lui attribue fantasmatiquement le pouvoir d’avoir accès à l’énergie de guérison. Ce qui crédibilisera un guérisseur, ce sera le fait d’avoir un don, de recevoir les gens dans sa cuisine, au coin d’un feu, dans une atmosphère un peu mystérieuse. Dans l’univers du « guérissage », on est dans une inversion par rapport à la construction théorique qui rend crédible, l’homéopathie, l’acuponcture, l’ayurveda ou la médecine tibétaine.
Comment le médecin se positionne-t-il face aux techniques de soin alternatives ?
S’il a dans son arsenal quelque chose qui peut être utile par rapport à la pathologie d’un individu il va l’utiliser. Mais très souvent, les médecins en consultation n’ont pas de thérapeutique utile. Dans le domaine de la rhumatologie aujourd’hui, 50% des consultations n’ont pas de diagnostic. Le médecin dispose de quelques anti inflammatoires qui selon les cas vont marcher ou non. Dans ces cas, les médecins pourraient naturellement penser à adresser ces patients pour lesquels il n’y a pas de traitement médical satisfaisant vers d’autres sources de soin, sachant qu’un certain nombre de pratiques alternative – yoga, tai chi, méditation - ont une influence sur les douleurs articulaires. Le médecin, du fait de son pouvoir médical, a vocation à se transformer en conseil de santé, en prenant en compte de ce qui ne relève pas de son univers strict mais a néanmoins démontré une valeur potentielle.
Que penser des cas de rémissions inexpliquées ?
Sur ce sujet, on est dans une extraordinaire zone aveugle de la médecine. J’ai cherché tout ce que je pouvais trouver sur la quantification de ces cas. J’avais ce chiffre de 1 à 2% des cancers terminaux. Malgré des heures de recherche, je n’ai pas pu trouver une seule statistique. On sait pourtant qu’il a existé et qu’il existe encore des cas de guérison spontanée. Il y a là un terrain de recherche qui devrait passionner le monde de la santé et le monde médical, mais qui est laissé de côté.
Pour quelles raisons à votre avis ?
C’est trop contraire aux convictions de l’idéologie bio médicale. On cherche des explications détournées qui pourraient invalider le processus, un faux diagnostic initial par exemple. Reste posée la question de savoir ce qui se passe dans ces cas, et s’il y a des principes à en tirer pour essayer de mettre sur pied des méthodologies ou des façons d’encourager ce processus. Mais on a des empreintes fortes en Occident – les guérisons miraculeuses du Christ, celles de Lourdes ; dès lors tout se passe comme si ce domaine, qui est sanitaire, était transbordé dans le religieux, la foi ou le paranormal et échappait au médical.
Pouvez-vous revenir sur votre expérience personnelle avec les guérisseurs ?
Il y a une quinzaine d’années, je souffrais d’une double hépatite virale. Ayant essayé différents traitements sans succès, je suis allé voir un guérisseur philippin qui passait à Genève. En trois interventions de soins de deux minutes 30 chacune, il a complètement effacé cette maladie de mon système, ce qui n’est pas compréhensible au regard des connaissances médicales actuelle. Mais à vouloir objectiver à tout prix, on perd la sensibilité au fait que chaque situation est unique et qu’elle se tisse à la croisée de l’objectif et du subjectif. Aujourd’hui encore, je n’ai aucune idée de ce qui m’a guéri. Pour moi, c’est une évidence que je me suis guéri moi-même selon des processus mystérieux. Mais j’ai eu besoin d’être au contact de ce guérisseur pour pouvoir le faire.
Les patients atteints par exemple de cancer grave par exemple ne risquent-ils pas d’être abusés par ces guérisseurs?
Un guérisseur spirituel peut abuser un patient de deux manières, soit en lui faisant croire que la guérison adviendra, soit en l’exploitant économiquement. Il dit généralement qu’il soigne à partir de ce qu’il reconnait être une dimension d’amour. J’ai observé personnellement de nombreuses situations où des personnes dans un état terminal cherchaient une guérison qui ne s’est pas avérée possible. Mais elles ont reçu tellement de compassion et ont été tellement nourrie par la relation humaine avec le guérisseur que ça leur a été utile. J’ai observé aussi que parfois, le fait de tout tenter, d’aller voir un dernier guérisseur au fin fond de la campagne en France, aux Philippines ou ailleurs, peut, lorsque le traitement ne donne pas le résultat escompté, permettre le surcroît de conscience qui fait que la personne se dit : « J’ai tout essayé, ça n’a pas marché. Je suis prêt à affronter l’échéance de la mort. »Si on évite le double écueil des faux espoirs et de l’exploitation, il n’y a pour moi aucune contre-indication à une démarche de guérison spirituelle. Reste à savoir si la personne en retirera quelque chose d’utile.
Le fait que les guérisseurs ne déconseillent jamais le traitement prescrit par le médecin est-il pour vous un indice de fiabilité ?
Bien sûr, ne serait-ce que parce que de la part d’un guérisseur, suggérer à un patient de renoncer à un traitement médical serait un abus d’autorité épouvantable. Ce n’est pas son domaine. Le guérisseur n’intervient pas sur le corps biochimique pris en compte par la médecine scientifique, il intervient sur une autre dimension du réel. Un guérisseur qui dissuaderait un patient d’avoir recours à un traitement proposé par un médecin se mettrait dans une position intenable sur le plan éthique.