Au commencement était le rêve...
Je me plais à imaginer une tribu regroupée autour d’un feu ; la nuit est froide et cela fait plusieurs jours que les chasseurs n’ont pas ramené de gibier. Dans le regard des uns et des autres, on peut lire la faim et la peur. Au petit matin, une femme du groupe raconte que durant son sommeil, son âme a voyagé de l’autre côté de la montagne, et que là, elle a vu un troupeau de bisons. Elle les a vus paître et ruminer. Elle a senti leur odeur et leur force. Ne doutant pas une seconde de ce que cette femme a pu voir et ressentir, les chasseurs de la tribu s’en vont de l’autre côté de la montagne et reviennent le soir même avec assez de gibier pour tout le monde.
La femme qui a rêvé est bien évidemment remerciée : elle reçoit une patte de bison, comme cela se fait aujourd’hui encore dans certaines peuplades traditionnelles, et sa capacité à « voir » en rêvant est considérée comme une bénédiction pour la tribu. On lui demande alors d’affiner ses perceptions et de trouver un moyen d’accéder au monde des rêves sur demande, selon les requêtes, de jour comme de nuit.
C’est comme cela que j’imagine la naissance du chamanisme : grâce à un rêve.
Le voyage de l’âme
Pour comprendre la manière dont le rêve s’inscrit dans la pratique chamanique, il est nécessaire d’avoir à l’esprit que pour les chamanes, l’âme n’est pas une entité monolithique immuable. En effet, contrairement à la manière dont elle est décrite dans certaines cosmologies religieuses, l’âme chamanique change, elle évolue, elle vit une vie d’âme, parfois très aventureuse. Et surtout, elle voyage, parce qu’elle est indépendante du corps et qu’elle le quitte régulièrement, par exemple au moment du sommeil.
C’est autour du voyage de l’âme – ou voyage chamanique – que les chamanes ont construit leurs pratiques, leurs techniques et leurs cosmologies. En apprenant à provoquer ce voyage intentionnellement, ils sont parvenus à se frayer considèrent comme étant la réalité ultime sous-tendant la réalité visible dite « ordinaire ». Cette réalité ultime est parfois appelée l’ « autre monde », bien qu’elle soit en fait « le » monde qui forme la trame de toutes les réalités, y compris celle du rêve.
Au départ, il y a cependant une différence subtile entre le voyage chamanique proprement dit et le rêve : l’un est provoqué volontairement par l’intermédiaire de diverses méthodes, les plus répandues étant l’utilisation de rythmes et de chants, ou l’ingestion de plantes psychotropes, alors que l’autre a lieu spontanément durant le sommeil. Mais lorsque le voyage chamanique et le rêve coïncident, qu’ils fusionnent en un seul et même continuum onirique, les « grands rêves » font leur apparition...