Toutefois, les travaux du Dr Candace Pert, chercheuse mondialement connue en pharmacologie, auteur de plus de 250 publications scientifiques, montrent que cette séparation n’est pas si évidente. Notre physiologie et notre psychologie seraient constamment en train de s’influencer. Echanges incessants d’informations d’une part, co-création d’états d’être d’autre part. Bien que le Dr Pert soit loin d’être la seule à s’aventurer sur ce pont entre l’esprit et le corps, ses recherches sont fondamentales pour bien comprendre comment ce dialogue se fait dans l’intimité même de nos cellules. Voyage au cœur d’une biologie psychique… qui pose la question de l’interdépendance de l’esprit et du corps.
Les molécules des émotions
Plantons le décor. Notre organisme est composé de nombreux éléments : des molécules, des cellules, qui s’organisent en organes, en systèmes… Et histoire que notre jambe gauche ne soit pas en train de partir de son coté alors que la droite a décidé de partir du sien, ou que notre cœur ne se mette pas à battre à toute berzingue alors que nous sommes dans une phase de détente profonde, notre corps possède trois grands systèmes régulateurs. Le système nerveux, le système endocrinien et le système immunitaire sont chargés de faire en sorte que tout fonctionne de concert. Pour cela, un peu comme des musiciens qui lisent les mêmes notes de musique, ces systèmes utilisent les mêmes molécules pour se parler. Ils ont un langage commun, c’est plus pratique. Cette grande orchestration se fait alors grâce aux molécules dites « de l’information », qui sont à 98 % des peptides (hormones, neurotransmetteurs… etc). « Les peptides servent à réunir les organes et les systèmes du corps en un seul ensemble qui réagit aux changements internes et externes », nous dit Candace Pert. Vous l’avez donc compris, ces molécules sont essentielles au bon fonctionnement de tout l’organisme.
Là où ça devient croustillant, c’est que ces fameuses molécules de l’information seraient exactement les molécules qui sont produites lorsque nous avons des émotions. « Les émotions créent toujours un courant spécifique de peptides dans le corps et influencent notre biologie », poursuit le Dr Pert. Effectivement, de très nombreuses recherches en neuro-endocrino-immunologie, dont certaines menées par le Dr Pert elle-même, ont mis en évidence la correspondance entre nos états émotionnels et la production de ces fameux peptides. C’est ce que confirme le Dr Louis Teulières, un immunologiste qui a travaillé plus de vingt ans en recherche dans les instituts Pasteur et à l’hôpital : « Il est évident que chaque processus émotionnel produit un cocktail hormonal qui interagit avec l’architecture à étage des grands systèmes du corps ». C’est pour cela qu’on entend parler dans la presse « d’hormones du stress » ou « d’hormones de l’amour ». Voilà un fait qui laisse perplexe. Loin d’être juste psychologiques, les émotions seraient aussi moléculaires et auraient un impact sur notre physiologie. Mais alors, qui de la poule ou de l’œuf apparait en premier ? Les émotions créent les molécules ? Les molécules créent les émotions ? Ou est-ce un seul et même phénomène ?
Un réseau psychosomatique
La psychologie influence-t-elle la biologie ou bien est-ce la biologie qui influence la psychologie ? Nous ne sommes pas les premiers à nous poser la question. Dès la fin du 19ème siècle, le psychologue et philosophe William James, considéré comme le père de la psychologie américaine, élabore une thèse selon laquelle chaque réaction corporelle produit une sensation que le cerveau perçoit comme un élément psychique. En ce sens, les émotions sont produites par le corps. Par la suite, le physiologiste Walter B. Cannon, dont les découvertes sur les réponses au stress et le concept d’homéostasie sont primordiales, pense à l’inverse que les émotions sont produites dans le cerveau et qu’elles provoquent des réactions corporelles.
Candace Pert, de son coté, pense que les deux ont raison. « C’est un système fait de réponses rétroactives qui marchent dans les deux sens, nous dit-elle. Les émotions transforment littéralement l’esprit en matière, et à chaque fois qu’il y a production de peptide cela crée de la psyché. Le corps et l’esprit sont intrinsèquement liés, dans un sens ils ne font qu’un ». L’esprit créé de la matière, la matière crée de l’esprit. Notre organisme est le résultat de cette chimie qui naît de la rencontre entre la biologie et la psyché, une chimie constamment renouvelée.
On le voit dans notre quotidien. Pour certaines femmes, il n’y a pas photo. Elles sont boudeuses ou joyeuses selon la phase de leur cycle menstruel. Leur biologie a raison d’elles. Inversement, comme nous l’explique le Dr Louis Teulières, nos états d’âme influencent notre santé. « Quand on est en état de stress, on a souvent des inflammations en tous genres : ulcère, eczéma… Soignez votre stress et vous verrez vos inflammations s’apaiser ». Voltaire ne nous avait-il pas dit : « j’ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé » ?
Que ce soit dans un sens ou dans l’autre, la psychologie et la biologie semblent bien se moduler l’une et l’autre constamment, et faire ce que nous sommes au quotidien. Et France Haour, ancienne directrice de recherche pour l’INSERM, enfonce le clou : « On sait très bien aujourd'hui que la psychologie influence tout le reste et que tout le reste influence la psychologie. Plus personne n'oserait prétendre que l'on peut mettre la psyché dans un bocal et le corps dans un autre. Ce serait une aberration totale ». Ca a le mérite d’être clair. Mais quelle est réellement la fonction des émotions dans tout ça ?
Un tri émotionnel
Pour Candace Pert, les émotions sont à la fois immatérielles et matérielles. Elles seraient alors des messagères qui permettraient des échanges d’informations constants entre l’esprit et le corps. « Les émotions voyagent à la fois dans le royaume de l’esprit et dans celui du corps, et permettent l’échange d’informations », nous dit-elle.Par ailleurs, ayant chacune une qualité qui lui est propre, les émotions mettent des couleurs, des textures, des saveurs à notre quotidien. Elles nous montrent comment nous expérimentons le monde, nous indiquant ce qui est agréable ou désagréable pour nous. Par là, elles conditionnent nos réactions physiologiques et psychiques à chaque chose que nous vivons. Et cela peut être très différent d’une personne à l’autre. « Si nous percevons un signal comme étant un stress, nous mobilisons le système neuro-endocrinien d’une certaine manière pour y répondre, ce qui aura une influence sur notre santé. Nous adaptons nos réponses en fonction de comment nous percevons chaque situation, et cela change d’un individu à l’autre », nous dit le Dr Teulières. Les émotions nous permettent alors de faire un tri, de nous positionner, de faire des choix. Effectivement comment savoir si la température de la pièce est bonne pour nous ou si la présence de quelqu’un nous convient, si ce n’est par un ressenti personnel ? Comment décider de nos choix quotidiens si nous n’avons pas de préférence ? « Les émotions sont constamment en train de réguler ce que nous expérimentons comme étant la « réalité ». Une fonction des émotions est de nous permettre de décider ce à quoi nous devons prêter notre attention », souligne le Dr Pert.
L’esprit et le corps, inséparables ?
Au cœur de notre biologie l’esprit et le corps ne font qu’un. Mais que penser alors des expériences de mort imminente durant lesquelles l’esprit semble pouvoir évoluer sans support physique ? En effet, une multitude de personnes ont rapporté, alors qu’elles étaient cliniquement « mortes », des informations pertinentes et vérifiables auxquelles il était impossible qu’elles aient eu accès. Par exemple : des discussions ou des faits précis qui se sont déroulés dans des lieux distants alors que leur corps physique était au bloc opératoire. Comme si leur esprit avait voyagé sans le corps.Le Dr Mario Beauregard, un chercheur en neuro-psychologie de l’université de Montréal qui a longuement étudié les effets des expériences transcendentales sur nos neurones, propose une allégorie. D’après lui nous pourrions considérer notre esprit comme les physiciens quantiques considèrent les quanta - les unités de base de notre matière. La plupart du temps ces unités opèrent sous forme d’ondes et parfois elles deviennent particules - quand on cherche à les mesurer, c’est à dire quand on les localise. Un phénomène similaire se produirait avec notre esprit. La corrélation entre l’esprit et le corps serait le résultat d’une localisation de l’esprit, il est alors « intriqué » avec le corps biologique. Mais il pourrait aussi exister sous une forme non locale et évoluer en dehors de l’espace et du temps. « Il peut y avoir deux états de la conscience. La conscience peut opérer à la fois de manière localisée, c’est à dire de manière somatique dans le corps, ou de manière délocalisée quand elle est hors du corps. En d’autres termes, l’esprit et le corps constituent une véritable unité psychosomatique. Mais l’esprit, qui n’est pas physique - une pensée n’a pas de masse, de volume ou de forme – peut aussi fonctionner sans substrat biologique ». Il semble donc à la fois important de réhabiliter cette intrication entre la psyché et le corps – surtout en ce qui concerne nos approches médicales et thérapeutiques qui ont tendance à les séparer - tout comme le fait que notre psyché peut, dans certaines circonstances, opérer aussi de manière non locale.