Pratiquer la méditation
avec Fabrice Midal
© Franz Galo
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On a tendance à conseiller de plus en plus la méditation comme un outil de gestion du stress, qui peut nous rendre plus efficaces. Que pensez-vous de cette approche ?
Il n’est certes pas faux de dire que lorsqu’on pratique la méditation, on établit un rapport plus détendu avec de nombreux éléments de notre propre vie. Mais la pratique ne va pas nous déstresser ; car la méditation, loin d’être une manière de nous calmer ou de nous détendre comme certaines formes de relaxation, vise à amener une plus grande clarté vis-à-vis de notre expérience. Et donc à nous faire rencontrer nos propres difficultés.
Il est dommage de confondre méditation et relaxation. Quelqu’un qui a fait une séance de méditation peut le constater : on y est parfois submergé de pensées et d’émotions, le silence et l’immobilité font peur, on n’a pas l’expérience qu’on désirait et on découvre qu’on n’est pas maître de soi comme on le voudrait. Paradoxalement, cette difficulté inhérente à la méditation est sa véritable ressource. Elle nous fait découvrir que nous sommes plus grands, et que nos atouts sont plus amples que nous ne le pensions.
La méditation n’est donc pas une aventure de tout repos ?
Les motivations qui nous font pratiquer au début sont toujours limitées. Mais il faut bien commencer quelque part ! Moi-même, je ne pratique plus du tout pour les raisons qui m’ont fait commencer ce chemin. Ce n’est pas là un problème. Ce qui l’est, en revanche, c’est de créer une atmosphère qui fait que la méditation n’a plus d’ampleur et ne peut plus nous parler comme elle le devrait. Il faut donc faire la différence entre quelqu’un qui se sent stressé et décide d’essayer la méditation – ce que je comprends très bien –, et les professionnels qui la présentent ainsi, souvent dans une perspective commerciale. Leur simplification a des conséquences désastreuses, puisqu’elle rend inaudible le sens authentique de la pratique de la méditation. Et plus grave encore, elle ment – car personne ne peut vivre sans traverser des difficultés, des angoisses et des conflits. Le prétendre ne va pas nous aider, mais au contraire intensifier notre sentiment d’inadéquation, notre sentiment de ne pas y arriver.
On peut aider quelqu’un à méditer. Mais vous insistez beaucoup sur le fait qu’il n’y a pas de but à la méditation ?
C’est tout simple, si vous voulez pratiquer pour obtenir quoi que ce soit, alors vous ne pratiquez plus, puisque méditer c’est s’ouvrir à la réalité telle qu’elle est, entrer dans le présent sans y mettre aucune condition. Dès que je cherche à obtenir quelque chose, je ne suis plus ouvert à ce qui se passe moment après moment, mais je deviens crispé sur ce que je veux. La méditation consiste très précisément à renverser ce rapport : ce n’est pas le but qui compte, mais le chemin. Si quelqu’un veut se rendre à une destination précise, il peut emprunter l’autoroute ou l’avion. La route disparaît ainsi, seul compte son point d’arrivée. Mais s’il veut prendre plaisir à la promenade, alors ce qui lui importe c’est le cheminement et il apprécie chaque pas, chaque détail du paysage. Voilà de quel côté est la méditation : elle consiste à partir en voyage, non à prendre une autoroute. La méditation n’est pas comme un comprimé qui va vous calmer sans que vous ayez à faire le moindre effort, mais elle vous met en rapport avec votre existence de manière saine.
Mais ne médite-t-on pas parce qu’on espère un changement ?
Il nous faut ici distinguer le but de l’aspiration. Quand j’ai un but, je nie le présent pour un futur espéré. Et la fin justifie alors les moyens. Peu importe la violence que je déploie.
Quand j’ai une aspiration, au contraire j’ouvre le présent et le rends plus ample. Aspirer à changer, à ouvrir son coeur, à affronter ses démons, à être plus en rapport avec la vie... est bien sûr indispensable sur le chemin. Comme nous ne faisons plus cette distinction, nous ne pensons plus que dans la dimension de l’instrumentalisation. Nous instrumentalisons la méditation, comme nous instrumentalisons le fleuve pour en faire une réserve d’énergie, mais aussi les arbres, les animaux, et maintenant même les êtres humains. Or la méditation nous montre qu’il y a un autre rapport au monde que celui de l’instrumentalisation, qui consiste à respecter, à laisser être. La méditation doit nous délivrer de la dictature de l’utilité et nous rendre ainsi à notre humanité profonde.
Dans le livre vous parlez beaucoup d’attention. Mais vous dites aussi que nous sommes dans des sociétés où nous avons appris à nous concentrer pour accomplir de multiples tâches. Quelle est donc cette attention que l’on cultive en méditant ?
Souvent, nous vivons comme en pilote automatique, sans être présents à ce qui nous arrive. Méditer nous apprend à retrouver un rapport plus réel à ce que nous faisons. Mais nous avons aussi développé de grandes forces de concentration. Dans nos métiers, nous accomplissons de nombreuses tâches en sachant être très efficaces. Quel est donc le problème ? Notre attention est trop focalisée et étroite. Nous ne sommes pas faits pour être à ce point tendus, obsédés par le résultat à obtenir. La méditation nous apprend à baigner l’attention d’un sens de présence, à développer cette « présence d’esprit » qui nous rend à même de répondre au mieux à toutes les situations de la vie quotidienne avec spontanéité et créativité. La méditation nous apprend à faire que notre attention soit ouverte et bienveillante.
Méditer, ce n’est ni s’élever dans des espaces agréables, spirituels, ni se forcer à une concentration aiguë. Il s’agit juste d’être là ?
Oui, si l’on comprend qu’il ne s’agit pas d’être là comme la pierre, mais comme un être humain, c'est-à-dire entièrement ouvert. Être là nous demande que nous y mettions du nôtre. Voilà ce que la méditation nous apprend. Pas seulement à être dans l’instant présent, mais à être ouvert à tout ce qui s’y déploie. Être dans la pleine présence de ce « là » qui irradie. En ce sens, méditer ne consiste pas à s’élever en quittant l’ici pour un ailleurs préférable, rêvé, mais à retrouver une unité plus grande, qui fait qu’on ne déchire plus le corps et l’esprit, l’ici et l’ailleurs, moi et les autres. C’est l’une des premières expériences que font ceux qui viennent pratiquer en séminaires résidentiels avec moi : ils découvrent qu’ils avaient des ornières qui limitaient leurs perceptions, leurs émotions et leurs pensées – et que ces ornières ne sont pas nécessaires. Il est tout à fait possible de vivre sans.
Vous citez une phrase du poète Rainer Maria Rilke « Il n’y a ni Au-delà, ni Ici-Bas, rien que la grande unité dans laquelle les êtres qui nous surpassent, « les anges », sont chez eux ». Quelle est cette réalité à laquelle on s’ouvre en méditant ?
Méditer, c’est prendre le risque de l’inconnu. C’est découvrir que ces ornières que nous n’avions pas remarquées alors même que nous les portions limitent notre regard, nos aspirations, le chant de l’amour qui nous habite. On découvre alors que nous avons limité la réalité : elle est infiniment plus vaste et poignante que tout ce que nous en avions pensé. Nous sommes beaucoup plus en rapport que nous le croyons avec des phénomènes que nous n’arrivons pas à penser logiquement et rationnellement, mais qui ont une existence forte. Mon engagement à défendre une autre entente de la méditation repose aussi sur cette expérience décisive.
La méditation mène donc naturellement vers le spirituel ?
Bien sûr ! À condition de comprendre que la spiritualité ne consiste pas à s’élever au-delà de la réalité la plus concrète, mais à éclairer cette réalité en montrant la limite de toutes nos déterminations logiques, sociales, historiques ou psychologiques. Autrement dit, la spiritualité ouvre notre compréhension de la réalité – en nous montrant combien nos mesures habituelles sont trop étroites. Et au premier chef celle de tout considérer à partir du moi-moi-même-et-encoremoi. Vous regardez un arbre, vous écoutez un ami qui vous parle. L’attitude non spirituelle consiste à voir ce que vous pouvez tirer de la situation, ou encore d’essayer d’en jouir. L’attitude spirituelle consiste à regarder l’arbre et vous ouvrir jusqu’à ce qu’il est, à écouter votre ami, sans aucune intention particulière. Nous retrouvons ici comment apprendre à laisser être, qui constitue l’un des axes de toute pratique et la quintessence de l’approche authentiquement spirituelle (qui n’a donc rien ici de religieux).
Vous dites que nous vivons aujourd’hui dans un monde du concept, où nous sommes pensés par des émotions et des idéologies que nous croyons nous appartenir, alors qu’elles nous sont dictées ; est-ce de ce carcan que la méditation permet de sortir ?
La situation aujourd’hui est paradoxale : jamais les êtres humains ne se sont crus libres, et même n’ont été libres comme nous, et jamais une telle uniformisation n’a eu lieu. Cette uniformisation montre que nous ne faisons pas une expérience de véritable liberté. Tout est médiatisé, les gens ont l’impression de dire ce qu’ils veulent sans se rendre compte que ce qu’ils sont invités à penser est fabriqué industriellement par le marketing de masse. L’industrie culturelle est une puissance économique qui ne vise pas à détendre les gens, mais à les modeler d’une certaine manière. La méditation redonne droit à l’expérience propre à chacun ; en cela elle est une nécessité politique, sociale et humaine décisive.
Y a-t-il une dimension subversive de la méditation ?
Absolument. Et vous comprenez mieux à présent pourquoi je dénonce tant la méditation telle qu’elle est aujourd’hui présentée dans la plupart des médias comme une recette pour être moins stressé. La méditation alors n’a plus de sens. Or elle offre l’une des dernières grandes possibilités de subversion. La véritable révolution ne peut qu’être, en son fond, spirituelle – ce qui implique tous les aspects les plus concrets de notre existence – car elle seule affronte le coeur de l’abîme, sans aucun rêve. Pour beaucoup de gens, la spiritualité consiste à fuir l’abîme dans un monde édulcoré, alors que c’est le contraire : c’est voir la dignité la plus profonde de la réalité et de tout être humain, et donc ce qui le menace le plus radicalement.
Méditer, est-ce finalement développer un point de vue sur l’existence à partir de cette présence dont vous parlez ?
La méditation permet d’avoir un rapport avec l’existence à partir de la présence plutôt qu’à partir de moi et mes problèmes. Les gens ont parfois l’impression que méditer est un travail d’introspection, qui consiste à se regarder le nombril. C’est l’inverse : c’est se libérer du vécu pour entrer dans l’expérience. Le vécu, ce sont des ressentis, des émotions, des jugements, parfois trompeurs, auxquels nous accordons beaucoup trop de valeur. L’expérience, c’est accueillir ce qui vient maintenant. Le vécu est centré sur le moi, l’expérience sur ce dont je fais l’expérience : ce sentiment de tristesse ou de joie, ce morceau de musique que j’écoute, cette conversation à laquelle je prends part.
À partir de cette présence, on peut accepter l’insécurité du changement, parce qu’elle apporte une forme de sécurité, de confiance. N’est-ce pas d’ordre mystique ?
La méditation nous invite à accepter l’insécurité inhérente à toute existence. J’y apprends à entrer en rapport avec les aléas de l’existence – non à me protéger de tout. On découvre ainsi un état de paix, qui n’est pas opposé au fait que nous traversons des bourrasques. L’idée que quelqu’un qui méditerait serait toujours calme est une idée absurde et dangereuse. Il n’existe pas de moyens pour devenir aussi insensible qu’une pierre – et s’il en existait, ce ne serait pas là une véritable sagesse ! Mais bien sûr le fait de méditer peut permettre à tout pratiquant, dans les difficultés qu’il ne peut manquer de rencontrer, d’être plus serein et détendu. Ce n’est pas du tout pareil. Dans tous les récits spirituels du monde, on a l’image d’un cercle, avec l’homme qui se tient au centre. Tout y est intégré. être au centre du monde, ce n’est pas se prendre pour le centre du monde, c’est être ouvert à la mesure du monde. La méditation nous apprend à trouver ce centre.Source INREES
LGF - Livre de Poche (Octobre 2012 ; 224 pages)