Intuition : Retrouvez votre 6e sens
Ce n’est pas le mode de fonctionnement que privilégient nos sociétés. On s’y affirme rationnel à tout bout de champ. Dans un univers à choix multiples, base de la société de consommation, on s’épuise à toujours chercher la meilleure option, le meilleur moment pour faire les choses, le meilleur placement… C’est d’autant plus compliqué que nous croulons sous l’information. Elle voyage autour de nous, sous forme immatérielle. Elle est accessible de manière illimitée par Internet. Chaque sujet est une spécialité sondée par des myriades de spécialistes. La quantité d’information manipulée aujourd’hui par un citoyen ordinaire en une seule journée est égale à celle qu’un homme du XVIIIème siècle manipulait tout au long de sa vie. source INREES
Nous sommes submergés, stressés, affolés, et notre intuition bien souvent reste muette. C’est pourtant une ressource précieuse. Un lapin qui sort du chapeau magique, en nous épargnant les affres du choix « rationnel ». Comment la comprendre ? Comment l’expliquer ? Souvent, nous cherchons les « trucs » pour avoir de bonnes intuitions. Mais l’intuition est d’abord une attitude, comme l’a expliqué Christophe Haag, auteur de La Poulpe attitude, en référence au céphalopode qui s’est rendu célèbre en prédisant avec succès les résultats des matchs de la Coupe du monde de football. Pour ce professeur en ressources humaines, il faut « poulper », c’est-à-dire apprendre à utiliser son cerveau intuitif.
Des processus inconscients à la rescousse
Car c’est un fait : nous n’avons pas pour seuls alliés dans la vie que la logique et le calcul rationnel. Dans Le Génie de l’intuition, Gerd Gigerenzer, directeur de l’Institut Max Planck de Berlin, montre comment en situation d’incertitude – autrement dit la vie –, ceux qui ne savent rien font parfois aussi bien que les experts qui soupèsent, calculent, modélisent. Pour cela, ils utilisent un savoir inconscient fondé sur des règles culturelles implicites de leur culture.
Les neurosciences confirment que nous ne sommes que partiellement conscients de ce qui nous pousse à agir : 80 % de notre matière grise est occupée à des processus inconscients. La logique et la rationalité ne font donc appel qu’à 20 % de notre capacité cérébrale. Les moments d’intuition sont des pépites d’or, produits de ce fonctionnement inconscient soudain accessibles à la conscience. « L’intuition fait référence à un mécanisme évolué tel que la mémoire implicite, ou une intelligence inconsciente qui a enregistré au fil du temps, et de manière implicite, des éléments liés à notre expérience personnelle passée. Ces éléments, enfouis dans la mémoire, peuvent revenir à la surface lorsqu’on se trouve dans une situation similaire » affirme la neurologue Stéphanie Ortigue dans La Poulpe attitude. Le cerveau décode en permanence l’environnement, à notre insu, avec une précision incroyable.
Prenons l’exemple du seul visage : « Deux muscles produisent trois cent combinaisons et trois muscles plus de quatre mille. Nous sommes allés jusqu’aux combinaisons de cinq muscles, avec pour résultat plus de dix mille configurations faciales perceptibles » a expliqué Paul Ekman au journaliste Malcom Gladwell, auteur de La force de l’Intuition. Avec son collègue Wallace Friesen, ils se sont entraînés à répéter toutes les combinaisons au prix d’une intense gymnastique faciale. Très peu de gens maîtrisent consciemment ces idéogrammes émotionnels, mais nous tous avons appris au cours de notre existence à en discerner les principales nuances. Nous pouvons mentir, y compris à nous-mêmes, notre visage exprime notre vérité profonde. Les travaux d’Ekman et Friesen sont utilisés avec succès pour prédire la durée de vie des couples, en fonction des émotions que traduisent leurs mimiques au cours des entretiens. Voilà un savoir qui peut participer d’une intuition : j’embauche ou non ; je fais confiance – ou pas…
Ces recherches aboutissent à la revalorisation de l’intuition, historiquement considérée comme inférieure à la raison. C’est d’ailleurs aussi pour cela qu’on la disait féminine. Aux hommes le monopole de la raison, aux femmes, l’intuition. De nos jours, on sait que l’intuition est unisexe. Ce qui est finalement une bonne nouvelle pour les hommes.
Car l’intuition est indispensable à la prise de décision. Nous pouvons développer et affiner l’outil pour ne plus être dupes de nos peurs et de nos préjugés, qui brouillent l’intuition. Les stéréotypes s’expriment particulièrement en situation de stress. Dans l’affolement, les mauvaises décisions se succèdent. Suite à une bavure aux États-Unis, qui a entraîné la mort d’un Afro-Américain, le psychologue Keith Payne a mené une expérience dans laquelle il a d’abord conditionné ses sujets en projetant sur un écran d’ordinateur des visages de Noirs ou de Blancs. Puis il leur a présenté des photos à la suite les unes des autres en leur demandant d’identifier rapidement s’il s’agissait d’un fusil ou d’une clé à molette. Lorsqu’il a accéléré la cadence et diminué le temps de présentation des images, ceux qui avaient été conditionnés d’abord par les visages noirs prenaient plus souvent la clé à molette pour un fusil. En situation de tension, « ils ont cessé de se fier aux preuves réelles que leur transmettaient leurs sens pour glisser dans un système rigide et inflexible guidé par les stéréotypes » résume Gladwell. Si la capacité de l’être humain en matière de balayage et de jugements éclairs est extraordinaire, elle a donc besoin de temps pour s’exprimer. Le stress et l’affolement sont contre-productifs, l’expérience et la confiance en soi sont des alliées précieuses. Il est possible d’entraîner sa sensibilité intuitive. Malcom Gladwell rapporte que Paul Ekman a conçu plusieurs tests pour évaluer la faculté d’interpréter les expressions faciales. L’un d’eux est un exercice de détection de mensonge. C’est un exercice très difficile, et ceux qui le réussissent sont aussi ceux qui se sont beaucoup entraînés.
Les capacités de perception intuitive sont décuplées lorsque le cerveau est en état de synesthésie, c’est-à-dire que tous les centres – vision, motricité, audition… – travaillent en coopération. Cet état, qui nous rend hypercompétitifs, peut être stimulé par l’activité physique, et plus spécifiquement par ce qui favorise en nous l’état de transe, potentialisant l’utilisation de notre cerveau intuitif. Pour Jean Becchio, président de l’Association française d’hypnose, l’intuition allie forcément l’apprentissage, les expériences, et la synesthésie.
Le psi dans l’intuition
Reste à savoir jusqu’où portent ces capacités d’hyperperception. Nos antennes perceptives connaissent-elles les bornes de l’espace et du temps ? Sont-elles sensibles aux pensées d’autrui ? Dans les approches que nous venons d’examiner, vous avez vu, entendu, senti, goûté, touché les choses, vécu des situations, et lorsque vous êtes confronté à des situations similaires, l’inconscient secoue tout ça dans son shaker, et vous envoie en quelques millisecondes une bonne dose d’intuition.
Et si je n’ai pas d’indices sensoriels ? Si l’intuition va contre tout ce que j’ai vécu ? Nous entrons alors dans le domaine de la parapsychologie, et plus précisément des perceptions extrasensorielles ou « psi ». Le terme de « perceptions extrasensorielles » désigne plusieurs formes d’acquisition d’information par des moyens autres que les sens ordinaires : la télépathie, processus par lequel de l’information passe d’un esprit à l’autre, sans que les sens ordinaires soient impliqués ; la clairvoyance, qui désigne l’accès à une information éloignée dans l’espace, et enfin la prémonition : l’accès à de l’information qui se trouve dans le futur.
« La plupart du temps, quand quelqu’un a eu une réponse intuitive, on ne sait pas si des perceptions extrasensorielles sont impliquées ou s’il y a eu un indice matériel » souligne le parapsychologue et psychologue américain Charles Tart. « Mais si nous savons que les informations dont elle pouvait disposer étaient insuffisantes pour avoir la réponse, alors je pencherais pour l’hypothèse que des perceptions extrasensorielles sont impliquées. »
En voici un exemple, rapporté par la femme de l’ancien premier ministre anglais Winston Churchill : pendant la guerre, trois ministres dînaient avec lui. Comme d’habitude, les bombardements commencèrent, et le dîner continua. Soudain, Churchill se leva, alla dans la cuisine, demanda au personnel de disposer tout le dîner sur la table de la salle à manger puis d’aller se mettre à l’abri. Il retourna ensuite à ses invités. Trois minutes plus tard, une bombe toucha la maison, détruisant la cuisine. Churchill était coutumier de ce genre de comportement.
Cet autre exemple est extrait d’une compilation faite par Sally Rhine, du Rhine Research Center, spécialisé dans la parapsychologie. Une mère est en train de travailler dans la cuisine pendant que son bébé dort dans la chambre et que son autre enfant, une petite fille âgée de trois ans, joue dans le salon. Soudain, elle « sait » que le nourrisson mâche quelque chose que l’autre enfant a mis dans sa bouche. Elle se précipite dans la chambre, et trouve le bébé qui a l’air normal, mais agite la main. Avec son doigt, elle déloge alors un petit bonbon rond coincé dans sa gorge, que lui avait donné sa sœur.
Dans tous ces cas, l’information qui préside à la décision arrive sous forme d’une intuition. Ce ressenti peut être ce que les Anglo-Saxons appellent un « gut feeling », littéralement une sensation des tripes. Ou alors on fait les choses sans savoir pourquoi, mais les gestes sont précis et clairs. Dans l’exemple de la mère de famille qui court vers la chambre de son enfant, l’avertissement semble être de l’ordre de la télépathie, que favorisent les relations d’amour, d’étroite entente : entre une mère et son enfant, entre des jumeaux… L’intuition dans ce cas s’exprime souvent dans des circonstances dramatiques, lorsque la personne aimée est menacée, sous forme d’une certitude : « Il lui est arrivé quelque chose », parfois accompagnée chez celui qui « reçoit » l’information d’une sensation physique correspondant à l’endroit où la personne aimée a été blessée.
Chez ceux qu’on appelle les « sujets psi », individus hors normes, particulièrement doués, les perceptions sont remarquables par leur précision, et s’expriment sous forme de flashs, d’images… Selon le psychiatre Paul-Louis Rabeyron, membre de l’Institut métapsychique international, on estime qu’environ 1 % de la population appartient à cette catégorie. Parmi eux, des voyants extraordinaires qui ont toujours suscité un grand intérêt : Leonora Piper, Alexis Didier, Edith Hawthorne, et plus proches de nous Yaguel Didier ou encore Maud Kristen. Considérés parfois avec ironie, les voyants sont aussi consultés par les plus grands, y compris par des personnalités que l’on peut difficilement soupçonner de crédulité.
La parapsychologie, une science qui étudie ces phénomènes en laboratoire dans des conditions contrôlées, s’intéresse à M. et Mme Tout le Monde.. Selon la formule consacrée, les effets qu’elle constate sont de faible ampleur mais statistiquement significatifs. En clair : il y aurait bien chez la plupart d’entre nous des perceptions psi qui se baladent, mais pas tout le temps. Le chercheur Dean Radin revient dans ce dossier sur les preuves accumulées sur plusieurs décennies. Charles Tart, qui a étudié ces perceptions, estime que leur existence est établie, et même qu’elles font peut-être partie intégrante de la nature humaine. Toutefois, c’est un peu comme le football américain : « Si vous êtes tout fluet, rien ne vous empêche de vous entraîner, mais il ne faut pas vous attendre à devenir un joueur professionnel. »
Un entraînement possible ?
Quand il n’est pas si fluet, le psi expliquerait en partie le flair des personnes intuitives. Des travaux ont mis en évidence la possibilité d’un fonctionnement psi inconscient chez les chanceux. Pourquoi certains semblent-ils avoir l’art de prendre à gauche plutôt qu’à droite, et de tomber « par hasard » sur la personne qui va jouer pour eux un rôle bénéfique ? Dans les années 60, John Mihalsky et Douglas Dean ont étudié environ 5 000 businessmen américains : 80 % d’entre eux affirmèrent non seulement croire aux perceptions extrasensorielles, mais aussi les utiliser dans leur activité. Ceux dont les résultats aux tests de précognition étaient les plus remarquables étaient aussi ceux qui avaient décuplé les bénéfices de leurs entreprises.
Pour mieux appréhender ces perceptions, il existe des méthodes très variées. En France, l’Institut métapsychique international organise parfois, en plus d’une activité régulière de conférences, des journées d’étude, sous la supervision de scientifiques qui travaillent sur cette question. Autre exemple, il existe des protocoles qui permettent de se familiariser avec la technique du Remote Viewing, ou vision à distance, développée sous la houlette de la CIA.
Il est toutefois impossible d’affirmer en l’état actuel des connaissances que tout le monde peut faire du remote viewing ou possède des capacités psi car « il n’existe pas de test standard en matière de perception extrasensorielle » explique Charles Tart. Et quand bien même les fondateurs du Remote viewing affirmaient que tout le monde en était capable... « Il est bien évident qu’ils n’avaient pas testé tout le monde. » Chacun doit donc se faire sa propre opinion, avec lucidité.
L’importance du cœur
Mais l’intuition ne repose pas que sur les perceptions extrasensorielles, même si elles y jouent un rôle. Se focaliser sur « l’entraînement des capacités psychiques », parfois dans le but de développer des « pouvoirs », se laisser aller à une fascination qui détache du réel est l’inverse du but recherché : un jugement clair, fondé sur un rééquilibrage entre intuition et raison.
« Pourquoi s’intéresser au Remote Viewing et aux recherches sur les capacités extrasensorielles ? » interroge le physicien Russell Targ, qui fut l’un des concepteurs de la technique de vision à distance. « Nous savons à présent que nous pouvons utiliser nos capacités de Remote Viewing pour regarder à distance, et dans le futur. […] Mais nous croyons que ces capacités visent avant tout à nous permettre d’expérimenter qui nous sommes vraiment. »
Faites-vous partie des cinq millions de gens qui sont allés voir Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet ? Ludovic, le gai luron d’une bande de copains est entre la vie et la mort après un accident. Dans un moment d’intuition, ses amis pensent à rester auprès de lui à Paris. S’interrogent. Puis partent finalement en vacances. Pendant ce temps, Ludo dépérit. Un soir, au cours d’un dîner au bord de la mer, entre deux verres de rosé, un coach zen et bronzé évoque les perceptions extrasensorielles : clairvoyance, prémonition. Dans l’assistance, quelques-uns acquiescent. Puis on passe à autre chose. Les vacanciers font même une expérience de parapsychologie, en essayant d’influencer la matière par l’esprit, en l’occurrence un pot rempli de riz. Mais quelles sont les implications pratiques de ces interrogations ? Aucune : Ludo meurt seul. Sans une vraie attention à l’autre, à ce qui se passe autour de nous, à l’impact de nos attitudes, au sens de la vie – tout ce qui fait la base d’une véritable attitude intuitive – les perceptions extrasensorielles ne sont qu’un gadget de plus.
Intégrer les perceptions extrasensorielles à notre perspective nous pousse à renoncer à nos certitudes, à accepter la part d’inconnu, comme l’explique Paul-Louis Rabeyron. Pour Maud Kristen, s’amputer de ses capacités psychiques est une aberration et un handicap. Le conseiller de dirigeants d’entreprise et essayiste Francis Cholle montre comment des modèles économiques plus viables peuvent être bâtis sur un concept d’intuition qui inclut une part de mystère sur notre fonctionnement. Et ce mystère, horizon ouvert à explorer, réveille le désir de vivre, de comprendre et de se dépasser. « Karma, destin, gut feeling, appelez-ça comme vous voulez, mais fiez-vous à votre coeur et à votre intuition » disait Steve Jobs, le fondateur d’Apple, « car l’un et l’autre savent ce que vous voulez devenir. Tout le reste est secondaire