L'imaginaire,
nouvelle réalité scientifique ?
En clair, que ma grand-mère soit là, en face de moi, en chair et en os, c’est-à-dire dans la réalité extérieure ou qu’elle m’apparaisse en souvenirs dans ma tête, c’est-à-dire dans la réalité intérieure, pour mon cerveau : aucune différence !
Une équipe de l'université de Berkeley va plus loin, en se penchant cette fois sur la perception auditive. En plaçant des électrodes à la surface du lobe temporal supérieur d’une quinzaine de patients — lobe chargé de l'audition mais aussi de certaines étapes du processus de la parole —, ces scientifiques américains ont ainsi enregistré leur activité neuronale au moment où ils écoutaient des mots et des phrases pré-enregistrés. Ils ont ensuite réussi à deviner, et même à reconstruire ces mots directement à partir de l’analyse de cette activité cérébrale, en des sons plutôt compréhensibles. On appelle cela de la "reconstruction de stimulus". « Que vous écoutiez votre chanson favorite ou que vous la fredonniez dans votre tête, nous avons remarqué que les mêmes zones du cerveau auditif étaient activées. C’est comme si vous entendiez réellement cette chanson alors que la pièce dans laquelle vous vous trouvez est bel et bien silencieuse », explique Brian Pasley, le neuroscientifique qui a mené ces recherches à Berkeley. « Cette étude inciterait donc à penser que la perception auditive et l'imagination peuvent également être assez similaires dans le cerveau », ajoute-t-il.
Si voir et imaginer, ou si entendre et imaginer activent les mêmes zones du cerveau, comment, finalement, notre conscience est-elle capable de faire la différence entre une réalité externe et une réalité interne, entre une vision d’un objet extérieur réel, et celui d’un souvenir ?
Cette question pourrait rester cantonnée au domaine de la psychiatrie. En effet, ne pas être capable de discernement conscient et « voir » quelque chose qui n’est pas présent dans la réalité, mais uniquement dans notre « monde interne », tout en pensant le voir réellement s’appelle une hallucination — une perception sans objet — et cela relève, a priori, de la pathologie, du dysfonctionnement. Effectivement, le fait que les mécanismes de la perception visuelle et auditive et celui de l’imagination soient les mêmes dans le cerveau pourrait laisser penser que, sans doute, chez certaines personnes, les neurones s’emmêlent les pinceaux et que c’est là que se trouve « l’explication » de ces hallucinations. Toutefois, ces observations scientifiques renvoient également à une question philosophique : « Ces études corroborent quelque chose que l’on sait, que l’on sent mais que notre culture occidentale a dénigré, déclare Fabrice Midal, philosophe français spécialiste du bouddhisme. Jusqu’au 18ème siècle, le fait de voir et d’imaginer étaient déjà considérés comme similaires. C’est à partir de la pensée de Descartes que l’imagination est devenue insignifiante et que l’idée même de la réalité s’est étriquée. C’est le drame de notre société actuelle ! Elle est pourtant une ressource de l’esprit totalement naturelle et qui ne fait appel à aucun élément de croyance. » L’imagination, une ressource de l’esprit ?!?
Qu’est ce que l’imagination ? La capacité d’une personne à visualiser une situation. Cette capacité constitue un outil central dans plusieurs traditions spirituelles. Pourquoi la « visualisation » est-elle si importante dans la transmission des enseignements du bouddhisme tibétain ? Comment les « visions » chamaniques permettent-elles au chamane d’obtenir des informations avérées sur ces patients ? Pourquoi et comment, en résumé, l’imagination peut-elle nous permettre de connaître notre environnement ? Et nous-même ? Pour Fabrice Midal, « l’imagination permet de créer un lien entre le monde corporel et le monde spirituel. Elle représente également une part de réalité profonde, car elle peut constituer un puits d’énergie, générer une émotion, nourrir notre créativité ou encore changer, de manière positive, notre état d’être et notre perception du monde extérieur ». Et de conclure : « Si vous pensez à votre grand-mère, que ce soit le souvenir de son visage, de son parfum ou du son de sa voix, cette seule pensée — induite par les mêmes zones du cerveau que si vous la voyiez — ne la rend-elle finalement pas réelle ? »
Alors, est-on en train de voir le monde, ou de l’imaginer ?