Le rêve et ses mystères
Ils parviennent à maîtriser et à orienter leurs songes. Cette enquête hallucinante sur le phénomène des rêveurs lucides s'appuie sur les dernières recherches en neurosciences.
Traverser des murs, voler dans l’espace, faire l’amour avec sa vedette préférée : dans les bras de Morphée, tout est possible ! On estime qu’environ 5 à 10 % de la population est à même de piloter sciemment ses rêves. Lors des phases oniriques, ils ont conscience de rêver et sont en mesure d’influer sur le cours de leurs songes. Le plus souvent, ils utilisent cette aptitude pour éprouver des sensations agréables. Mais on retrouve le rêve lucide également dans certains secteurs comme la science, le sport et l’art !
Le psychophysiologue Stephen LaBerge est l’un des plus éminents spécialistes du rêve lucide. Ce scientifique explore les processus à l’œuvre et maîtrise l’art de les déclencher. Dès la fin des années 1970, alors que le rêve lucide était considéré comme une supercherie, ce doctorant à l’université de Stanford a apporté la preuve scientifique qu’il était effectivement possible de rêver tout en étant conscient de rêver. Aujourd’hui, Stephen LaBerge continue de sonder l’inépuisable potentiel du rêve éveillé au Lucidity Institute dont il est le directeur.
Escalader des montagnes, fouler le sol de la lune, chercher l’inspiration pour un projet artistique ou passer à tabac votre chef, le tout pendant votre sommeil, n’est-ce pas un peu fatigant ? Ceux qui maîtrisent le rêve lucide vous répondront que non. Bien au contraire : cela offre une autre vision du monde et contribue à une bonne santé mentale ! En effet, une étude prouve que ceux qui pilotent leurs songes affichent une meilleure santé psychique que les rêveurs lambda. Le monde serait-il meilleur si un bon nombre d’hommes et de femmes parvenaient à assouvir leurs désirs les plus secrets dans les bras de Morphée ?
Suis-je éveillé ou en train de rêver ? Peu de personnes sont capables de faire, par elles-mêmes, des rêves lucides. Mais, grâce à l'aide de certaines techniques il est possible d'y parvenir.
Le rêve lucide, ça s’apprend !
Toute une série de techniques et d’outils permettent de parvenir au rêve lucide. Voici quelques-unes des principales méthodes.
- Méthodes cognitives (tests de réalité, méthode MILD, méthode WILD) - Recours à des stimuli externes - Prise de substances (« herbes du songe »)
Condition préalable : apprends à connaître tes rêves !
Pour toutes ces méthodes, il peut s’avérer utile de savoir de quoi sont faits nos rêves. Ce qui suppose qu’on se souvienne bien de ses rêves. Celui qui connaît bien ses rêves peut augmenter leur fréquence en tenant par exemple un journal de ses rêves. Il est alors possible d’identifier des éléments de l’activité onirique particulièrement bizarres ou irréels desquels on peut immédiatement dire qu’il s’agit de rêves. C’est ce qu’on appelle les signes du rêve. En tenant le journal de ses rêves, on peut aussi cerner les paysages, les personnes et les situations dont on rêve régulièrement, ce qui favorise également le rêve lucide.
Méthodes cognitives
Les différentes méthodes cognitives sont idéales pour les débutants, elles peuvent se pratiquer dans le cadre domestique. On distinguera à cet effet les techniques visant à parvenir à un état de conscience et celle visant à le préserver. Les techniques visant à parvenir à un état de conscience désignent toutes les méthodes cognitives qui, lors d’un rêve normal, aident à reconnaître que l’on rêve. Les tests de réalité et la méthode MILD en font partie.
1. Les tests de réalité : suis-je éveillé ou en train de rêver ?
Il est important de développer une attitude de réflexion critique. En journée, on devrait plusieurs fois se demander si l’on est éveillé ou en train de rêver. L’objectif étant de parvenir à évaluer la réalité dans le rêve et d’accéder ainsi à la lucidité. Un test de réalité consiste à jauger la pesanteur en sautant brièvement en l’air. En rêve, on atterrit le plus souvent plus lentement quand on ne reste pas en apesanteur. Autre test apprécié, celui de lecture. Vous voyez un passage écrit, vous regardez ailleurs, puis vos yeux se posent à nouveau sur ce bout d’écriture : dans la réalité, rien n’aura changé. Alors qu’en rêve, si l’on fixe un mot ou une horloge digitale et que l’on regarde brièvement ailleurs, il y a de fortes chances que les lettres ou les chiffres aient ensuite changé. Et là, vous en êtes sûrs : vous rêvez !
La méthode MILD
MILD signifie « Mnemonic Induction of Lucid Dreams » (induction mnémonique de rêves lucides). Avant de s’endormir, il s’agit de trouver un moyen mnémotechnique qui permette de se rendre compte dans son prochain rêve que l’on est en train de rêver. La méthode porte ses fruits lorsqu’au réveil, on se souvient d’un passage rêvé et qu’on y reconnaît des signes oniriques. En rêve, les miroirs peuvent par exemple nous montrer d’étranges reflets : nous voilà soudain affublés d’une barbe quand ce n’est pas un visage parfaitement étranger qui nous fait face. Alors, on peut se dire : la prochaine fois qu’un miroir me renverra un étrange reflet, c’est que je serai en train de rêver !
La méthode MILD peut parfaitement se combiner à la technique dite Wake-up-Back-to-Bed (WBTB). Les études ont montré qu’il pouvait être utile de se lever après 4 à 6 heures de sommeil, de retrouver ses esprits puis de se rendormir après 30 à 60 minutes, idéalement avec la méthode MILD.
La méthode WILD
Cette méthode s’adresse avant tout à ceux qui ont déjà quelques expériences de rêve lucide. WILD signifie « Wake-Initiated Lucid Dreaming » (rêve lucide initié consciemment). Contrairement aux techniques visant à parvenir à un état de conscience, il s’agit là de conserver l’état de conscience. Autrement dit, lors d’une sieste ou lors du sommeil nocturne, l’état conscient est maintenu, tandis que le corps s’endort. En s’endormant, on embarque directement dans le rêve lucide. Parmi les techniques WILD, on citera la concentration sur le corps et certains exercices avec les doigts. La concentration sur le corps consiste à canaliser toute l’attention sur certaines parties du corps afin de percevoir consciemment comment le corps physique s’endort. Autre possibilité : lever alternativement le pouce et le majeur. Quand le mouvement n’est plus possible, c’est que la torpeur du sommeil s’est installée et que l’on va bientôt voir les premiers éléments du rêve. L’aventure peut commencer, vous êtes aux commandes !
Stimuli externes
Le recours aux stimuli externes est une autre possibilité permettant de provoquer le rêve lucide. Il s’agit là d’envoyer un signal dans le rêve - rayon de lumière, son ou vibration – qui permet de savoir que l’on rêve. Ces stimuli peuvent être envoyés sous contrôle dans un laboratoire du sommeil mais il est également possible de se procurer divers ustensiles pour émettre ces signaux lorsque l’on dort chez soi. Ces aides aux rêves ressemblent à des masques pour les yeux qui enregistrent les mouvements oculaires lors de la phase de sommeil paradoxal et produisent des rayons lumineux ou des sons reconnus en rêve comme des signaux. Idéalement, l’usage des stimuli externes se combine avec les techniques de la méthode MILD ou les tests critiques de réalité.
Prise de substances (« Herbes du songe »)
Sur la Toile, on trouve tout un tas d’informations sur les différentes substances censées favoriser les rêves lucides (herbe à rêve aztèque, racine de rêve africaine, galanthamine). En l’absence d’études sur la prise de ces substances et les rêves lucides, nous déconseillons d’expérimenter ces méthodes.
Motivation et patience
Lorsque l’on s’essaie aux différentes techniques, il est important de ne pas se décourager trop vite : le résultat en vaut la peine ! Le rêve lucide fonctionne d’autant mieux quand on est motivé. Définir un objectif de rêve motivant peut être d’une grande aide.
Alors, votre curiosité a été éveillée ? N’attendez pas, commencez tout de suite et demandez-vous : suis-je en train de rêver ou suis-je éveillé ?
L’auteure Mélanie Schädlich, diplômée en psychologie, a préparé une thèse de doctorat sur « l’apprentissage du mouvement dans le rêve lucide » à l’Institut du Sport et des sciences du sport de l’Université de Heidelberg.
Le rêve lucide appliqué au sport – l’entrainement mental de l’avenir
Pour de nombreux sportifs, l’entraînement mental à l’état de veille est un élément essentiel de leur préparation. Des études ont prouvé l’efficacité des exercices mentaux, véritables compléments à l’entraînement physique. Mais alors, pourquoi encore s’entraîner durant un rêve lucide ? La réponse est évidente : quand on se souvient bien de ses rêves, on sait que l’expérience onirique est bien plus réelle qu’une simple représentation mentale. Les expériences visuelles, auditives et le ressenti du corps semblent souvent plus réalistes en rêve qu’à l’état de veille.
En outre, l’état de rêve offre toute une gamme de possibilités créatives sans cela difficiles à transposer. Comme par exemple le changement de perspective – passer du moi à une autre personne – ou la distorsion du temps. Ainsi, il est possible d’effectuer un mouvement complexe au ralenti et de se concentrer sur chacune de ses étapes.
Des chiffres
Dans notre groupe de recherche à Heidelberg, nous planchons depuis quelques années sur l’apprentissage des mouvements en état de rêve lucide. Un sondage réalisé auprès de 840 sportifs allemands a révélé qu’il y avait deux fois plus de rêveurs lucides (14,5 %) parmi les sportifs que dans le reste de la population (7,5 %). Neuf pour cent des sportifs pratiquant le rêve lucide ont déclaré utiliser ce potentiel pour le sport – la majorité d’entre eux évoquant même un effet positif tangible sur leurs performances à l’état de veille. Une autre étude a montré que des personnes qui s’exerçaient à lancer une balle chez eux lors d’un rêve éveillé amélioraient leur score d’un jour sur l’autre.
Pour mieux comprendre comment les rêveurs lucides utilisent leurs rêves pour apprendre des mouvements, j’ai récemment interviewé 20 sujets qui utilisaient cette faculté pour un entraînement sportif. Les résultats étaient prometteurs. Les personnes interrogées pratiquaient différents arts martiaux, mais aussi le VTT, la plongée ou le saut d’obstacles. Ils étaient nombreux à avouer qu’ils arrivaient à mieux enchaîner les mouvements, d’abord en rêve, puis dans la réalité.
Observation
Fabian Holzheid (32 ans) s’est essayé en rêve à un enchaînement complexe de kickboxing. A l’état de veille, il y parvenait uniquement en commençant avec le pied gauche. Le rêve lucide lui a permis d’essayer l’inverse : « j’ai pris cinq à dix secondes pour réfléchir à l’enchaînement exact et à la manière d’y parvenir. Après deux tentatives, j’ai réussi, et je pouvais faire cet enchaînement dans les deux sens. J’ai répété l’exercice deux, trois fois, et je me suis réveillé. » Quand Fabian est retourné s’entraîner, il a réussi du premier coup !
Clare Johnson enseigne le yoga. Lors d’un rêve lucide où elle volait, elle a aperçu un groupe de personnes en dessous d’elle qui s’exerçaient à la salutation au soleil. « J’ai volé vers eux et j’ai participé. Les mouvements débordaient d’une merveilleuse énergie et je sentais le Prana, ou souffle de vie, circuler à travers mon corps. Au bout d’un moment, je me suis réveillée tout doucement. Je sentais les espaces entre mes vertèbres, et l’énergie picotait dans tout mon corps, de la tête au pied ». Kai Schoppe (40 ans), professeur de Tai-Chi et de Qi Gong, cherche aussi l’inspiration dans le rêve lucide. C’est ainsi qu’il créé des nouveaux mouvements ou des positions de la main qu’il intègre à son enseignement.
Est-ce bien nécessaire ?
Dans notre société régie par le diktat de la performance, il est vrai que nous nous épuisons suffisamment en journée. Pourquoi en plus s’exercer la nuit ? Chacun est libre de gérer son temps, de jour ou de nuit, pour pratiquer le rêve lucide. On rappellera par ailleurs qu’en phase de sommeil paradoxal, lorsque la plupart des rêves lucides voient le jour, l’activité cérébrale est de toute façon intense, qu’on s’adonne au rêve lucide ou non. Les muscles sont quasiment paralysés pour nous empêcher d’exécuter les mouvements que nous rêvons. Et comme les rêves lucides ne durent le plus souvent pas plus de quelques minutes, ils représentent une infime partie du sommeil nocturne.
Pour résumer
La plupart des personnes qui ont participé à mon étude comptent bien continuer à utiliser le rêve lucide pour le sport, non seulement pour progresser, mais aussi parce qu’elles prennent plaisir à expérimenter des mouvements dans cet état de conscience particulier. Peu de personnes ont une disposition innée au rêve lucide. Mais chacun peut apprendre à pratiquer le rêve lucide [lien vers le texte consacré à l’apprentissage du rêve lucide]. Dans la mesure où la recherche ne cesse d’améliorer les méthodes censées favoriser le rêve lucide et que de plus en plus d’ouvrages et d’outils sont disponibles, on peut espérer qu’à l’avenir, le rêve lucide sera investi d’un rôle toujours plus important dans le sport. Les mouvements particuliers qui nous sont plus ou moins familiers à l’état de veille conduisent à une expérience intense lors d’un rêve lucide. N’hésitez pas à enfilez vos rollers ou vos lunettes de piscine lors de votre prochain rêve lucide ! A vos marques, prêts, partez !
L’auteure Melanie Schädlich, diplômée en psychologie, a préparé une thèse de doctorat sur « l’apprentissage du mouvement dans le rêve lucide » à l’Institut du Sport et des sciences du sport de l’Université de Heidelberg.
SOURCE ARTE FUTUR