Quelques années plus tôt, dans son laboratoire de l’éminent Massachussets Institute of Technology, le scientifique avait découvert qu’une infime variation dans les paramètres de départ pouvait provoquer des changements radicaux dans le comportement d’un système. La théorie du chaos était née. « En science, chaos ne signifie pas désordre ou confusion, mais se rattache plutôt à une notion d’imprévisibilité à long terme, précise l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Dans certaines situations, les résultats dépendent de manière extrêmement sensible des conditions initiales. Que celles-ci changent un tant soit peu, et les résultats divergent exponentiellement. »
Imaginez donc un papillon voletant dans une forêt sud-américaine. Son passage déplace une feuille qui, en se posant sur une petite mare, en fait onduler la surface. De proche en proche, se déclenche une série de phénomènes, qui finissent par induire un changement atmosphérique majeur à des milliers de kilomètres. « Même si on couvrait la Terre de stations météorologiques contiguës, il existerait toujours des fluctuations trop infimes pour être détectées, explique Trinh Xuan Thuan. C’est pourquoi il est impossible de prévoir le temps qu’il fera dans plus d’une semaine. »
Révolution conceptuelle
L’effet papillon ne secoue pas que le domaine de la météo. Cette « révolution conceptuelle » remet en cause l’approche déterministe héritée de Newton. Non, le monde n’est pas une mécanique maîtrisable, mais un système subtil d’interconnexions et d’interactions, un vaste champ de possibilités où rien n’est figé, où les choses n’existent que par jeux inattendus de rencontres et de causes à effets. « Dans la vie quotidienne, la théorie du chaos limite notre capacité à prévoir et prédire les choses. Elle donne de la liberté à la nature et lui permet d’exercer sa créativité pour générer la beauté et la complexité du monde », commente Trinh Xuan Thuan.Pour le bouddhisme, ce n’est pas une nouveauté : depuis 2600 ans, l’impermanence et l’interdépendance sont au cœur de ses enseignements. « L’expérience du quotidien nous induit à croire que les choses ont une réalité objective autonome, observe Trinh Xuan Thuan, mais ce mode d’appréhension des phénomènes n’est qu’une construction de l’esprit. Le bouddhisme soutient que c’est uniquement en relation et en dépendance avec d’autres facteurs qu’un événement peut survenir. » Tout bouge, tout évolue, tout est en transformation potentielle au gré des circonstances…
Fascinant faisceau de connexions ! Les auteurs de films et romans à suspense ne se sont pas privés d’en exploiter le captivant ressort. Que serait devenu le monde si Adolf Hitler avait été reçu aux Beaux-Arts ? s’interroge Eric-Emmanuel Schmitt dans La part de l’autre. Un autre enchaînement de circonstances aurait-il pu empêcher l’assassinat de Kennedy ? explore Stephen King dans 22/11/63.